BREST 1944
Le traumatisme d’une ville détruite


 



 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

 
Pour comprendre pourquoi Brest a tant souffert pendant le siège d’août-septembre 1944 il ne faut pas se focaliser uniquement sur les événements de la seconde guerre mondiale. L’histoire de la ville depuis sa naissance est liée à sa fonction militaire qui la prédestinait à être une place forte de la Marine.

Ce qui fut un atout et une source de richesse jusqu’en 1944 causa la perte et la destruction quasi-totale de la ville. Cependant, Brest trouvera le dynamisme nécessaire pour renaître de ses ruines, encore plus étendue et mieux structurée.



 



 
 
 
 
 
 
 
 

A l’époque gauloise, Occismor (Mer des Occismiens, c’est à dire des gens d’occident), était la bourgade proche du port de la Penfeld nommé Brivates et de la citadelle dite Gaesocribates.

Les invasions répétées du dernier tiers du IIIème siècle amenèrent les Gallo-romains à mettre leur pays en état de défense. Ainsi dans les années 280, bon nombre de villes de Gaulle furent entourées d’une muraille. La protection de l’Armorique semble avoir été intégrée à un véritable système de défense cohérent. L’effort porta sur des points fortifiés du littoral, situés au fond des rias et comprenant un fort, un corps de troupes ainsi qu’une flottille qui permettrait une intervention rapide le long des côtes. Les fortifications antiques de Brest, bien qu’englobées dans un château plusieurs fois remanié depuis le Moyen-Age compte encore parmi les vestiges gallo-romains les plus importants de Bretagne.
 

Le Castellum Romain
 
Le site est celui d’un éperon rocheux, coincé entre l’embouchure de la Penfeld au nord-ouest et la rade de Brest au sud. Cet éperon fut barré par une longue muraille de 185 mètres, toujours visible à la base de la courtine du château, face à la ville. Ailleurs, les observations permettent de penser qu’un castellum de plan trapézoïdal, de périmètre plus réduit que le château actuel avait été érigé suivant le même plan que le fort romain de l’Altrip (Alta Ripa) près de Ludwigshafen. D’après un document administratif du début du 5ème siècle, la "Notifia Dignitatum ", l’Armorique était rattachée à un grand district militaire, le District Armoricain et Nervien allant de la Seine à la Garonne. Le castellum de Brest fut choisie pour abriter une garnison de " Maures Osismiaques ".

Durant les premiers temps médiévaux, Brest évolua peu. Le château resta le siège d’une autorité militaire. Au 10ème siècle le château de Brest était une motte féodale construite sur les bases de l’édifice romain. La ville et le château furent rachetés en 1240 par le duc de Bretagne Jean 1er (dit Le Roux) au prodigue Henri V vicomte du Léon pour 600 Livres et une haquenée blanche. Lors de la guerre de succession de Bretagne, épisode secondaire de la guerre de cent ans, Brest est confiée aux Anglais en 1342 par Jean de Monfort. La première enceinte protégeant le bourg est alors édifiée. Malgré les sièges des armées françaises (1373-1378) ou bretonnes (1386-1387), le château ne sera récupéré par le duc de Bretagne qu’en 1397.

Brest en 1631
 
Manifestation de la puissance des Comtes du Léon jusqu’au milieu du 14ème siècle, enclave anglaise pendant cinquante ans, convoitée par la Bretagne, l’Angleterre, la France, la forteresse du bout de la terre était considérée au Moyen-Age comme le plus fort château du monde. Pendant cette période Brest fut pratiquement limitée au château. Au 17ème siècle la ville ne possédait encore que sept rues sur la rive gauche de la Penfeld.
 
Carte de Brest en 1640
On peut considérer que la véritable naissance de Brest en tant que ville a lieu en 1681. Cette année là, le roi Louis XIV signa des lettres patentes décrétant les mesures nécessaires à une véritable urbanisation. A la fin du 16ème siècle la population de Brest est estimée à 1500 habitants contre 15000 à la fin du règne de Louis XIV en 1715. Richelieu ministre de Louis XIII traduisit à Brest la volonté de son roi de doter la France d'une importante flotte de guerre. Mais c'est surtout Colbert, ministre de la Marine sous Louis XIV à qui l'on doit le développement de la construction navale à Brest et la définition des structures essentielles de l'arsenal. La ville se tourne alors définitivement vers son destin militaire.

En 1694, après l’achèvement de l'enceinte qu’il a conçue pour Brest, Vauban trace un plan idéal qui fera autorité pendant un siècle. Sans toutefois redresser les îlots existants, il quadrille les espaces vierges de l’intra-muros selon un axe nord-ouest/sud-est reliant le noyau urbain d'origine à la porte de Landerneau, axe recoupé par des rues parallèles aux fortifications. Il détermine des îlots géométriques qui seront d'une grande stabilité dans le temps. C'est ainsi que Georges Milineau puis Jean-Baptiste Mathon, pour les Plans d'Aménagement (1920) et de Reconstruction (1943) de Brest s'appuyèrent chacun sur ce plan en damier du 17ème siècle.
 
 

Brest en 1830
Au 18ème siècle, grande époque de la " Royale ", le commerce de Brest est entièrement lie aux chantiers navals et aux besoins particuliers de ses habitants. Sous la direction de Choquet de Lindu à partir de 1734, l’arsenal est habillé d'imposants édifices qui donneront pour longtemps un majestueux visage aux deux rives de la Penfeld : le corps de garde de la Pointe, les trois formes de Pontaniou (1742-1757), les forges des armes et constructions navales, les magasins, les corderies, les ateliers, le bagne... Un moment arrêtés pendant la guerre de sept ans, les travaux sont très activement repris dès la signature de la paix. En 1790, l'arsenal est devenu un grand ensemble industriel où sont rassemblées, sur les deux rives de la Penfeld, toutes les installations nécessaires à la construction, à l’armement et à l’entretien des navires et ou travaillent 10 000 ouvriers aux multiples métiers. Les guerres apportent emplois et opulence. Cette situation entraînera de nombreux conflits entre le gouvernement militaire, aristocratique et entièrement voué à l’autorité royale, et le pouvoir municipal qui tente de sortir Brest de son rang de simple annexe de camp militaire.

Au milieu du 19ème siècle les bourgeoisies civiles et militaires s'unirent pour gérer la ville. Le second empire verra l’équipement urbain se modifier de manière considérable, avec la construction du chemin de fer, la création du port de commerce et l'édification du pont sur la Penfeld. Brest rêve de devenir une place commerciale importante par l'intermédiaire de son port civil, mais jamais son destin ne la laissera s’écarter de sa fonction militaire. L'intense activité déployée lors de la Première Guerre mondiale, démontrant la qualité nautique du site profitera à Brest.
 
 
 

Brest avant guerre
Pendant la période de 1920 à 1929 Brest étouffe dans ces fortifications et se développe hors de ces murs. L’architecte Georges Milineau tentera d’organiser les évolutions de la ville grâce au plan d’Aménagement, d’Embellissement et d’Extension de Brest.
La position géostratégique de Brest :

Le 3 septembre 1939, la France entre en guerre aux cotés de l’Angleterre. Dès lors, la ville de Brest, de part sa position géographique qui en a fait le premier port militaire français, est vouée à tenir une place importante dans le conflit.

Port base des divisions de contre torpilleurs de la flotte de l’Atlantique, Brest participe activement du 16 septembre au 1er octobre aux escortes des convois de troupes expéditionnaires anglaises vers la France. Quelques mois plus tard, à la mi-avril 1940, alors que les Allemands débarquent en Norvège, la décision d’envoyer un corps d’expéditionnaires à Narvik est prise et il est décidé que l’embarquement se ferait à Brest. C’est l’effervescence tant au port qu’en ville. Au total, c’est 16 000 soldats, 10 000 tonnes de matériel regroupés en 9 convois qui quittent Brest, remplis d’espoir en une victoire hélas sans lendemain...

Arrive la mi-juin. Les Allemands progressent en Bretagne et l’invasion est imminente. L’or dont dispose la Banque de France est convoyée en toute hâte par bateaux en des lieux plus surs (Casablanca, Halifax...). Le 15 juin 1940, dans le plus grand secret un jeune général peu connu du grand public embarque sur le contre torpilleur " Milan ". Il s’agit du général de Gaulle. Son embarquement passe inaperçu tellement les mouvements sont nombreux dans la rade.

Le 18 juin 1940, les Allemands sont aux portes de la ville et la flotte navale française quitte le port. 80 bateaux de commerce, alors qu’ils encombraient la rade, appareillent un à un suivi du " Richelieu " (alors inachevé) et d’une ligne ininterrompue de bâtiments de combat. Avant de partir, on a pris soin de saboter les installations de l’arsenal, de détruire les stocks et les dépôts de carburant. Des panaches de fumées noires saturent le ciel et témoignent d’un arsenal à l’agonie et orphelin.

Le mercredi 19 juin 1940, après avoir rencontré très peu de résistance, les Allemands entrent dans Brest et le 20, ils quadrillent entièrement la ville. Le traumatisme des brestois est alors immense. Pour la première fois depuis des siècles, la place forte sans pareille, le premier port de l’Océan est occupé comme par surprise.
 
 
 

Bombardement sur Brest
D’emblée, la base navale revêt aux yeux des états majors allemands une valeur exceptionnelle pour la lutte navale en Atlantique. Le port est vite remis en état et dès le mois de septembre, sept destroyers allemands sont basés à Brest. Les bombardements anglais puis américain commencent alors le 23 septembre. Le cauchemar brestois débute et franchit un palier supplémentaire en mars 1941 lors de l’arrivée des superbes croiseurs de bataille " Gneisenau ", " Scharnhorst " puis " Prinz Eugen ". A partir de ce moment, la vie à Brest devient infernale pour la population. Pas un jour ne passe sans alerte aérienne ni bombardement destiné à détruire ces cuirassés. Malheureusement, la DCA allemande, dénommée la " flak " (bientôt la plus puissante après celle de Berlin) force les raids à voler à haute altitude. Le plus souvent, les cibles militaires sont ratées aux dépend des édifices civils qui s’effondrent un à un. Quelques centaines de mètres est une distance infime sur un viseur quand l’avion vole à 5 000 mètres... Les raids les plus violents de la guerre ont lieu le 24 juillet 1941. Hélas, ces bombardements ne donnent rien, le " Gneisenau " et le " Prinz Eugen " restent intacts dans leurs bassins, tandis que le bilan des pertes civiles est lourd : 80 morts, 50 immeubles totalement détruits et tant d’autres fissurés.

Le 11 février 1942, les trois fleurons de la Kriegsmarine quittent le port militaire de Brest pour une mission ambitieuse en Norvège. Les bombardements diminuent alors en intensité mais persistent pour endiguer la construction de la base sous-marine, colossal abri bétonné. Cette base sous-marine, encore utilisée de nos jours, abritera les U-bootes pendant la bataille de l’Atlantique élaborée par l’amiral Dönitz. Le cauchemar brestois continue...
 
 
 

La "Flak"
La vie brestoise et la Résistance sous l’occupation :
 
 
 
Ticket de rationnement
Dès les premiers jours de l’occupation, on remarque que l’ensemble de la population brestoise est anti-allemande, refusant la collaboration prônée par Vichy. Il est même dit que " l’esprit de résistance des brestois était inversement proportionnel au nombre de tonnes de bombes tombées sur la ville ". Dès juillet 1940, on note les premiers accrochages entre la population et l’occupant. Les Allemands se plaignent de démonstrations anti-allemandes dans les actualités des cinémas par exemple et les inscriptions à la peinture sur les murs (V, croix de Lorraine, dessins humoristiques...) fleurissent un peu partout en ville. En mars 1941, les tracts communistes et anti-vichystes font leur apparition. Tout ceci a le don d’énerver l’occupant et en décembre 1942, les Allemands instaurent la fermeture des lieux publics à 21 heures et un couvre-feu à 21 heures 30.

Pendant ce temps, les brestois goûtent aux restrictions. Le règne des bons et tickets commence. Les bombardements font partie du quotidien et bien que les bombes éventrent les immeubles, détruisent les canalisations d’eaux, les brestois s’attachent à leur ville. Etant donnée l’intensité des bombardements dès 1941, la population est invitée par le préfet à évacuer la ville pour s’expatrier en Ile et Vilaine, Loir et Cher et Sarthe mais sans succès.

En parallèle avec la vie quotidienne et son lot de terreur, des réseaux de résistance s’organisent. Les différentes cellules ne cessent de harceler les troupes et les états majors allemands par des séries d’attentats divers. Le service de sécurité du parti nazi à de ce fait une antenne spéciale à Brest. Malheureusement, aucun mouvement de Résistance n’échappe à la répression allemande et de nombreuses rafles sont organisées.

Le 6 août 1944, les Américains sont aux alentours de Brest après leurs percées vers l’ouest à l’issu du débarquement. Les Allemands sont alors fébriles et sentent le danger. La peur les envahit. Dans les villages voisins de Brest, les habitants se barricadent chez eux. Les nazis, se sentant perdus, vont se replier dans Brest et ses fortifications mais ils commettent les pires atrocités en partant. C’est ainsi qu’à Pegenrèc, ils lancent des grenades dans les maisons et tuent hommes, femmes et enfants sans le moindre jugement.
 

Le siège de Brest : 7 août / 19 septembre 1944
 
 
 

Tir de DCA
Apres le débarquement en Normandie, l’ordre express d’Hitler est diffusé : que chaque port se transforme en une forteresse côtière. Refuges des sous-marins, Brest, Lorient et St Nazaire sont des atouts primordiaux pour un retournement de situation dans le conflit. Efficace depuis longtemps contre les avions grâce à une DCA très développée et de tous calibres, Brest va vite s’organiser contre les attaques terrestres. Le système de défense intègre les forts et les remparts hérités de Vauban à des blockhaus " made in Germany " ainsi que des terrains minés.
Proclamation de la Loi Martiale
L’autorité allemande ordonne l’évacuation de Brest le 4 août 1944. On voit alors défiler dans les rues tous ceux qui n’attendaient que ce signal pour ce mettre à l’abri. Ils quittent leur ville le soir même, par train, par bicyclette ou encore par car à gazogène. Ils s’expatrient vers les bourgs et les fermes du Léon et de Landerneau. Malheureusement, croyant dans l’ensemble à une victoire rapide des alliés contre l’oppresseur, ils ne prennent que peu de précautions pour protéger leurs biens. Certains hommes quittent la ville pour s’enrôler dans les FFI pour suivre l’appel du général de Gaulle. Mais plus nombreux sont les fatalistes qui demeurent chez eux en espérant pouvoir passer dans la tourmente, bien que terrifiés par les bombardements omniprésents.

Le 6 août, les Américains sont à Lesneven et le 7, ils arrivent près de Brest ou ils attendent leur infanterie d’appui. Ce jour même les Allemands proclament l’état de siège. A partir du 10 août, lorsque tombent sans répis les bombes et les obus, les brestois, pris au piège, affluent vers les abris en tous genres, sortes de boyaux mal aérés. La patience est leur seule arme.
Le 13, une trêve est obtenue pour permettre l’évacuation générale des civils récalcitrants de la première vague d’exode du 4. En ville, des affiches noires et rouges, couleur de deuil et de sang, proclament la Loi Martiale. L’autorité militaire occupante ennemie à main mise sur toutes les autorités locales. Il est même interdit à la population locale (enfin ce qu’il en reste) de sortir dehors sous peine d’être fusillée sur-le-champ. Le moindre gradé d’Hitler a le droit de vie ou de mort sur n’importe quel français.

Le 8ème corps de la troisième arme des Etats-Unis, commandé par le major général Troy H. Middleton, passe à l’attaque de Brest le 25 août à 13 heures appuyé par un bâtiment anglais (HMS Warspite). La réplique des allemands est sévère. Les troupes d’élites composées de 40 000 jeunes obéissent au Führer qui leur a ordonné de tenir jusqu’au bout. La progression est lente et les convois d’approvisionnement en munitions n’arrivent pas à maintenir un flux constant. La situation est préoccupante pour les alliés. Enfin, les munitions arrivent en grande quantité entre le 3 et le 8 septembre. Appuyé par des chasseurs bombardiers qui maintiennent une pression permanente, les progrès sont conséquents dès le 8. L’étreinte se resserre sur l’ennemi. Le 16 septembre, une attaque généralisée sur l’ensemble du front est déclenchée après une violente préparation de l’artillerie et de l’aviation et le 18, c’est une attaque intra-muros, rencontrant une faible résistance qui amène la capitulation allemande. Brest est libéré.
 
 
 

Brest détruite
 
Sur les 10 000 immeubles qui se dressaient à Brest avant la guerre, 4875 d’entre eux sont abattus ou calcinés. De Brest intra-muros il ne reste plus que la muraille du Château et la façade de l’ancien théâtre. A Recouvrance, les approches de l’Arsenal et le Pont National sont effondrés. Dans l’Annexion, où les dégâts sont moindres et souvent réparables, des centres d’animation naissent. L’accumulation de toutes ses ruines semble être une entrave à la reprise des activités économiques et professionnelles.

Préalables à la reconstruction :

Baraquement du Bouguen
Dès octobre 1944, 1300 ouvriers s’occupent du déblaiement de l’Arsenal, ils seront 4000 en janvier 1945 et pour la fin de l’année, l’Arsenal qui a retrouvé ses effectifs de 1938 peut reprendre ses activités. La remise en état du cuirassé Jean Bart consacre la renaissance de l’Arsenal. L’enceinte fortifiée de Vauban dont le plan Milineau prévoyait déjà le dérasement est une gène à la reconstruction. Le ravin de la rue Louis Pasteur est comblé et il ne restera bientôt plus comme témoin historique du passé militaire de Brest que le Château. Les places, les glacis, des terrains militaires cédés accueillent 5000 baraques où logent les familles sinistrées. Au polygone ou sur le plateau du Bouguen naissent des quartiers géométriques ou s’alignent des constructions en planches et carton bitumé. Les premiers chantiers en dur sont lancés en 1948. Des blocs d’immeubles à plaques de ciment gris et grands toits d’ardoise sont érigés à la périphérie.

Une mutation politique :

Administrées sous le régime de Vichy par une même délégation provisoire, les trois communes suburbaines de Saint-Pierre-Quilbignon, Lambézellec et Saint-Marc sont annexés et agrandissent ainsi la ville de Brest de 3850 hectares contre les 530 hectares de Brest même. C’est la naissance du Grand Brest.

La fusion fait apparaître un comportement électoral différent de celui de la ville d’avant guerre qu’on appelait " Brest la Rouge ". La gauche conserve de solides positions avec Gabriel Paul à la tête du parti communiste. Mais en 1946, Victor Le Gorgeu, ancien sénateur maire de Brest, radical socialiste, est battu pour la Seconde Assemblée Constituante. Les femmes votent pour la première fois pour les élections municipales d’avril-mai 1945 ; la majorité de leurs voies vont à Yves Jaouen, M.R.P.

La fidélité au souvenir d’une cité résistante et gaulliste profite à Alfred Chupin, R.P.F. qui devient maire en octobre 1947. Il deviendra député en juin 1951. En mai 1953, Yves Jaouen retrouve la mairie.

Un nouvel acteur de la vie politique brestoise apparaît alors. Maître Georges Lombard, désavoué par le R.P.F., entame une carrière politique de candidat indépendant. Il devient conseillé municipal en 1953, adjoint au maire en 1954, député en 1958 avec le soutient de l’U.N.R. dont il deviendra la tête de liste. Candidat indépendant aux élections municipales de 1959, Maître Lombard devient maire d’une ville neuve qui aura besoin de son dynamisme.

L’œuvre de la reconstruction :

Le pont de l'Harteloire
Le plan de Reconstruction et d’Aménagement de l’architecte-urbaniste Mathon qui reprend les grandes lignes du plan Milineau et impose un zonage strict est approuvé le 14 avril 1948. Des ouvertures à la circulation remplacent les anciens remparts et glacis, la partie basse du centre intra-muros est aplanie. Le boulevard Jean Moulin s’épaule au mur de soutènement pour se terminer à la rue Louis Pasteur qui repose sur 25 mètres de déblais.
La rue de Siam
La trame générale de la voirie n’est pas respectée, les rue gardent les dénominations d’avant guerre mais les emplacements et les gabarits sont différents. L’étroite rue de Siam fait place maintenant à une trouée rectiligne de 20 mètres ouverte aux vents de sud-ouest. De grands ouvrages sont construits, le pont de l’Harteloire est inauguré en 1951 et le nouveau pont " National ", pont de Recouvrance est inauguré en 1954.

Environ 4000 logements sont édifiés au centre ville mais l’architecture est triste et grise, seuls les immeubles administratifs ou les monuments sont embellis par des parements de granit. La Reconstruction n’a laissé place qu’à de rares fantaisies comme l’église de Saint Louis construite en pierres jaunes de Logonna. C’est partout le règne du béton qui grisonnera une ville déjà peu ensoleillée.

Le noyau urbain est rebâti en 5 ans entre 1949 et 1954. La Reconstruction touche à sa fin en 1958. Une moyenne de 5000 ouvriers aura été nécessaires pour réparer 10 000 logements et livrer 11 000 des 12 500 logements neufs financés au titre de la Reconstruction qui sera officiellement achevée en 1965 avec la dissociation des associations de sinistrés. Pour un coût total de 50 milliards d’anciens francs, la Reconstruction fut un œuvre remarquable de rapidité à laquelle on doit associer le nom de l’ingénieur en chef Piquemal.

Fidélité ou facilité ?

Lorsque l’on parle du nouveau Brest, les jugements sont contradictoires, certains accusent la trop indigente inspiration des architectes tandis que d’autres reconnaissent la nécessité de reloger au plus vite et concèdent même que la froideur est en accord avec le site grandiose et son passé militaire.

Brest reconstruite
Le périmètre d’urbanisation est élargi. Sur la rive droite se dressent les imposants HLM de Kerangoff et les tours de Quéliversan, sur la rive droite de nouveaux quartiers apparaissent autour de l’avenue Montaigne et on assiste à une forte excroissance urbaine de la place de Strasbourg. Des 41 000 habitants qui résidaient à Brest même en 1936, il n’en reste plus que 17 000 en 1954. Le centre et ses appartements confortables sont habités par les catégories socioprofessionnelles aisées tandis que la périphérie abrite la classe populaire. En 1958, 4500 logements provisoires sont encore occupés, les derniers logements du Polygone ne pourront être détruits qu’en 1975.

A partir de 1955, les commerces regagnent la rue de Siam. En 1961, la ville a retrouvé sa forme de fuseau et ses coupures internes avec l’inauguration du nouvel Hôtel de ville. Cependant, le plan Mathon n’aura rien apporté aux accès au centre ville ni à la desserte de la périphérie, avant même la fin de la Reconstruction, un nouveau plan d’urbanisme est à l’étude.

Une rapide renaissance démographique :

En 1946, il ne reste plus vivant sur les ruines que 75 000 habitants dans le grand Brest. Les victimes des bombardements et de l’explosion de l’abri Carnot ne comptent pas en thermes de statistiques, les nombreux évacués sont restés dans les départements d’accueil (Sarthe, Loir et Cher) et de nombreux brestois habitent maintenant dans d’autres communes finistériennes.

Le repeuplement devance la reconstruction et les logements provisoires dans les baraques et les immeubles épargnés sont très vite remplis par la population et les immigrants employés dans les chantiers. On assiste à un excédent de naissance, la population de 1936 est retrouvée en 1954, on a alors un taux de natalité maximum atteignant les 24 pour mille et un taux de mortalité faible ne dépassant pas 10 pour mille. La fécondité des ménages brestois est à rapprocher de celle des villes minières du Nord ou de l’est.  " Brest est la ville la plus jeune de France " avance non abusivement le slogan proposé aux investisseurs. En effet, durant cette période, 34 à 37 pour cent de la population brestoise a moins de 20 ans. On ressent le besoin de construire de nouvelles écoles. L’économie est relancée grâce au croît démographique.

Cependant l’activité du bâtiment prend fin vers 1956-58 et ni l’Arsenal ni le port de commerce ne résoudront le problème de la crise de l’emploi. Durant la Reconstruction Brest n’a pas accru son potentiel industriel.

L’Arsenal toujours là :

Maintenant, du sillon de la Penfeld il ne reste plus qu’une traînée glauque encombrée d’épaves. Les Allemands laissent derrière eux en plus des ruines, la base sous-marine des quatre pompes et des abris creusés dans le roc des falaises de la Penfeld ou de Laninon. La Marine Nationale décide alors de reconstruire sur place et d’enterrer les installations les plus vitales. Le plan de reconstruction de l’Arsenal de 1948 est remanié en 1951 et exécuté fin 1953. Les deux formes de Laninon sont réparées et rallongées de 250 mètres à 300 mètres, la station de pompage et la nouvelle centrale électrique du Porzic sont enfouies. La préfecture Maritime quitte les bureaux de la rue de Siam pour venir s’installer dans le Château. L’Ecole Navale est repliée au Poulmic, l’ancienne école située à Saint-Pierre-Quilbignon ne sera pas réparée avant 1960. Elle abritera alors le centre d’Instruction Naval et le nouveau Collège Naval.

Peu de navires de la Marine Nationale restent à Brest car ils sont appelés par les théâtres extérieurs d’opérations jusqu’en 1962. Il ne reste que des bâtiments en instance de refonte ou de désarmement. Cependant, une escadre légère de 6 escorteurs est formée en 1958 ce qui prouve le regain d’intérêt de la Marine pour la situation géostratégique de la rade.

A cette époque, l’Arsenal compte 8000 salariés. Entre 1948 et 1953, le chantier des constructions neuves n’a travaillé que pour des bâtiments de commerces. Seront mis à l’eau 3 charbonniers, 2 long-courriers, 2 cargos mixtes et le paquebot Antilles. La loi du 8 juillet 1951 sur le nécessaire rajeunissement de la flotte donnera du travail à l’Arsenal de Brest avec l’achèvement d’un porte-avions et la construction d’un deuxième en 1957, 2 croiseurs modernes et 5 escorteurs d’escadre.

Malgré cela, le chantier N se retrouve sans emploi entre 1960 et 1962 à cause d’un plan de charges mal assuré. Le sort même de l’Arsenal est mis en cause.

Le port marchand :

Le port marchand a subi de nombreux dégâts dus aux bombardements ou aux sabotages. Les réparations de fortune permettent toutefois de rétablir la circulation au troisième puis au cinquième bassin. La cale sèche sera restaurée en 1950 tandis que la digue garde des brèches faute de budget, Brest n’est par un port prioritaire.

Il n’y a pas que des constructions qui se soient effondrée, depuis 1947 les ports américains ont donné fin à leur trafic avec Brest. De 1948 à 1956 on manipule moins de marchandises qu’en 1913, seuls la Reconstruction et les sorties de pommes de terre vers l’Afrique du Nord évitent la mort du port de commerce.

Brest retrouve son million de tonnes de marchandises en 1957. Du charbon cokéfiable en provenance de Etats Unis est débarqué, le port de commerce de Brest joue un nouveau rôle d’éclatement minéralier jusqu’en 1964 et ressent le besoin de s’étendre. La Chambre de Commerce finance le sixième bassin et un terre plein de 4 hectares tous deux disponibles en 1961. Un projet de " station-service de l’Atlantique " se dessine et on peut croire en 1958 que la situation maritime de Brest, à la pointe de l’Europe, va être exploitée.

8000 ouvriers du bâtiment :

Brest est devenue grâce aux établissements de la Marine une ville ouvrière mais pas un complexe industriel. Avant 1958, 80 pour cent des emplois du secondaire sont ceux de l’Arsenal ou de la construction. La Direction des Travaux Maritimes contribue à la prospérité des plus grosses entreprises mais pour la plupart c’est la Reconstruction qui permet de continuer à vivre. Aussi une crise du secteur va naître avec l’achèvement des chantiers. 5 maisons disparaissent en 1958-1959, 1500 travailleurs sont débauchés.

On compte 105 demandes d’emploi non satisfaites en janvier 1958, 619 en 1960 dans la seule branche de la construction. Déjà rangée parmi les " zones critiques ", l’agglomération devient " zone spéciale de conversion " le 15 juin 1961.

Les effets destructeurs de la guerre auront toutefois permis à cette ville martyre de se relever grandie. L’extension en superficie et l’expansion démographique sont des nouveaux atouts qu’il faudra savoir jouer. Pour cela la diversification et l’industrialisation qui avaient échoués auparavant doivent être des objectifs primordiaux.

L’arsenal, source d’activités et d’emplois majeure pour la région brestoise doit cependant nécessairement perdurer avec la Marine. Cette dernière ne subie aucun effet de rancœur de la part de la population et pourtant, toujours à la pointe de la technologie militaire, Brest abrite aujourd’hui la Force Océanique STratégique et ses sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, en cas de nouveau conflit mondial l’histoire serait vouée à se répéter.

Jacques GARREAU :  " BREST "
Editions S.A.E.P. COLMAR-INGERSHEIM, 1972.

Troy H. MIDDLETON :  " Le siège de Brest "
Editions Service Mécanographique de la Ville de Brest, 1969.

René LE BIHAN : " Brest 1940-1944-1960, l’occupation, la libération, la reconstruction "
Editions Ouest-France, 1994.

Emmanuel SIOU : " Mémoires en images, Brest "
Editions Alan Sutton, 1995.

Yves LE GALLO : " Histoire de Brest "
Editions Edouard Privat, 1976.

" Brest dans la guerre "
Editions de la cité, 1984.